HIGH ENERGIES





Depuis une quinzaine d’années, l’artiste pluridisciplinaire Tony Regazzoni axe son travail autour du concept de discothèques. Ces lieux de fêtes qui se sont multipliés et démocratisés dans les années 1970, alors que le disco faisait danser les foules, cristallisant l’écho de la libération des minorités de genre et de sexe. Tout en s’imposant comme des refuges communautaires, des espaces d’intersectionnalités entre minorité.es, à l’abri des discriminations de la société. Des safe-places pour reprendre une définition plus contemporaine.

Avec sa nouvelle exposition, HIGH ENERGIES, Tony Regazzoni déroule encore plus le fil de son obsession pour la club-culture et la dance-music en évoquant l’esprit, comme la mémoire, de la Hi-NRG. Popularisé dans l’inconscient collectif par le tube “High Energy“ d’Evelyn Thomas en 1984, le genre s’est imposé comme une version sous amphétamines du disco où les synthétiseurs ont remplacé les chœurs de cordes et de cuivre, au profit d’un beat accéléré, de refrains kitsch et tonitruants, de paroles célébrant la défonce sexuelle comme chimique, et de hooks musicaux entêtant comme un rush de poppers. La drogue, indissociable et symbolique de la Hi-NRG, dont les clubbers imbibaient leur bandana pour le porter à leurs narines. 

Inventé fin des 1970 à San Francisco par le jeune producteur Patrick Cowley qui va composer deux des hymnes du genre - “You Make Me Feel (Mighty Real)“ pour la diva Sylvester et “Menergy“ pour lui-même - le San Frandisco sound, comme on appelle la Hi-NRG à ses débuts, va rapidement s’imposer comme la bande son des clubs queer de l’époque où, sur le dancefloor, se trame la révolution et la mutation des corps et des identités. Amplifiée et popularisée par les producteurs Ian Levine, Man Parrish, Bobby Orlando, Gino Soccio, Lime ou le trio Stock, Aitken, Waterman, des labels comme Megatone, Shack ou Moby Dick, et des divas comme Divine, Paul Parker ou Sylvester, la Hi-NRG fut tout à la fois la bande son, dans les années 80, de l’émancipation queer, que celle de la lutte face à l’épidémie de sida !

Disposée le long de trois salles, l’exposition HIGH ENERGIES s’ouvre par le musée des slogans. Une collection de drapeaux, en hommage au rainbow-flag conçu en 1978 suite à l’assassinat d’Harvey Milk (premier élu américain ouvertement homosexuel) se voit compléter d’une explosion de slogans de manifs issues du passé comme contemporaines. En déclinant, en collaboration avec H·Alix Sanyas, en écharpes, t-shirt, crop-top, etc. des slogans comme “Prolétaires de tous les pays, caressez-vous” du FHAR, association LGBTQI+ mythique des 70’s, au “Prolétaires de tous les pays, invertissez-vous“ du jeune collectif radical les Inverti·e·s, HIGH ENERGIES rappelle avec acuité que l’humour, cinglant comme un coup de poing, fut toujours une arme de choix pour les minorité·e·s. Comme la colère et l’hédonisme, retranscrits ici par une série de tableaux peints et pyrogravés reprenant des images d’happening, manifestations, zap, action-prop, qui ont marqué par leur symbolique l’histoire queer. Une ébullition amplifiée par le marquage de bandes jaunes courant du sol aux murs, en clin d’œil au graphisme des pochettes de Hi-NRG autant qu’à celui des flacons de poppers, ainsi que la diffusion sonore du podcast “Le Feuilleton des luttes” créé par le Centre d’Archives LGBTQI+ Paris, avec la réalisation d’un nouvel épisode consacré aux Inverti·e·s.

La Chapelle, seconde partie de l’exposition, est imaginée en salle acoustique. Une sélection at large de disques de Hi-NRG et leurs pochettes à double-entendre homoérotiques, sera ainsi exposée et disposée à l’écoute et à la danse. Pendant que les paroles de tubes de Hi-NRG, camp et politiques à souhait - comme le “Shoot Your Shot“ de Divine, le “So Many Men, So Little Time“ de Miquel Brown ou le “Male Stripper“ de Man II Man - ornent des coussins imprimés où se remettre de son intense dance-routine. Au mur les portraits pyrogravés de Divine, Patrick Cowley, Sylvester ou Ian Levine, dont les tubes sont passés de la moiteur des discothèques aux manifs de rue, s’imbriquent en une nouvelle trinité des saintes et saints de la Hi-NRG, devant laquelle il convient de se prosterner.

Bande Organisée, la dernière partie de l’exposition, adaptation d’une installation réalisée au Nouveau Printemps de Toulouse l’année dernière, évoque le voyage initiatique entrepris par Tony, parti sur la piste des discothèques italiennes de l’âge d’or des 1970, dont la plupart sont désormais abandonnées dans leurs ruines. Saisies dans leur architecture fantasque, et transformées en pyrogravures, l’hommage à ces temples rétrofuturistes est porté par des mobylettes tunées et rutilantes, dont le phare éclaire les compositions. Une manière pour le public, juché sur la selle, de s’immerger dans ces fièvres du samedi soir, tout en se laissant porter par des récits librement imaginés par de jeunes artistes queer radicaux·ales comme Camille Desombre, Naëlle Dariya, Gorge Bataille ou Aurélie Faure.

En transmutant malicieusement le titre de son exposition de HI-NRG en HIGH ENERGIES, en désacralisant la figure de l’artiste tout puissant en invitant d’autres artistes ou collectif·ves, en transformant le public en acteur·ices Tony Regazzoni pose sur la piste les questions brûlantes de la mémoire et de l’héritage queer, des fluides physiques et corporels, comme activistes et politiques, transmutés en cette fameuse décharge électrique dont la Hi-NRG porte le nom. Que reste-t-il de l’énergie de ce disco synthétique et robotique qui fut tout à la fois la bande son de l’émancipation communautaire que celle de la résilience face au sida ? De la fête que de la mort ? Comment ce genre musical stigmatisé, car musique de pédés, de folles et de divas tonitruantes, conçue pour la drogue et le sexe, mais bien plus politique qu’elle n’en donne l’air, s’est immiscée dans les interstices des luttes ? En refusant de s’enfermer, voire se réfugier dans le passé, Tony Regazzoni articule mémoire et présent, les collisionne comme pour mieux en faire jaillir les étincelles activistes, tout en livrant son exposition la plus militante et queer à ce jour.

Une manière d’étendre la question qui sous-tend son travail : pourquoi danser, ce mélange de liesse collective et d’expression de son individualité, affecte les corps et les politiques à la manière dont Act Up Paris proclamait “Sida is disco“ ?


Patrick Thévenin
Janv. 2025



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For the last fifteen years or so, multidisciplinary artist Tony Regazzoni has focused his work on the concept of discotheques. These nightclubs, which multiplied and democratized in the 1970s when disco was making the crowds dance, crystallized the echoes of the liberation of gender and sexual minorities. They became community refuges, places of intersectionality between minorities, protected from social discrimination. Safe-places, to use a more contemporary definition.

With this new exhibition, HIGH ENERGIES, Tony Regazzoni further explores his obsession with club culture and dance music - recalling the spirit, as well as the memory, of Hi-NRG.

First popularized in the collective unconscious by Evelyn Thomas's 1984 hit ‘High Energy’, the style emerged as an amphetamine-fueled version of disco where synthesizers replaced choirs of strings and brass for the benefit of an accelerated beat, kitschy, thunderous refrains, lyrics celebrating sex and chemical highs combined with musical hooks as heady as a rush of poppers. Drugs, inextricably linked and symbolic of Hi-NRG, in which clubbers soaked their bandanas on their noses. 

Originally invented at the end of the 1970s in San Francisco by the young producer Patrick Cowley, who composed two of the genre's anthems - ‘You Make Me Feel (Mighty Real)’ for the diva Sylvester and ‘Menergy’ for himself - San Frandisco sound, also known as Hi-NRG in its early days, quickly established itself as the soundtrack of queer clubs, at a time when dancefloors were the scene of revolution and mutation of bodies and identities. Amplified and popularized by producers Ian Levine, Man Parrish, Bobby Orlando, Gino Soccio, Lime and the Stock, Aitken, Waterman trio, labels such as Megatone, Shack and Moby Dick, and divas such as Divine, Paul Parker and Sylvester, Hi-NRG was not only the soundtrack to queer emancipation in the 80s, it was also the voice of the fight against the AIDS epidemic!

Organized in three rooms, the HIGH ENERGIES exhibition opens with a museum of slogans. A collection of flags, in homage to the rainbow flag created in 1978 following the assassination of Harvey Milk (the first openly homosexual US politician), is completed with a burst of historical and contemporary protest slogans. In collaboration with H-Alix Sanyas, HIGH ENERGIES has turned slogans such as ‘Prolétaires de tous les pays, caressez-vous’ (Workers of all countries, caress yourself) from the FHAR (the legendary LGBTQI+ association of the 70s), or ‘Prolétaires de tous les pays, invertissez-vous’ (Workers of all countries, invert yourself) from the young radical collective Les Inverti-e-s into scarves, T-shirts, crop-tops, etc. A sharp reminder that humor, as scathing as a punch, has always been the preferred weapon of minorities. Just like anger and hedonism, transcribed here in a series of painted and pyrographed tableaux featuring images from happenings, demonstrations, zaps and action-prop, which have marked queer history with their symbolism. A boiling atmosphere amplified by the marking of yellow stripes running from the floor to the walls, in a nod to the graphic design of Hi-NRG covers and popper bottles alike, as well as the sound broadcast of the podcast “Le Feuilleton des luttes” created by the Centre d'Archives LGBTQI+ Paris, with the production of a new episode dedicated to the Inverti-e-s.

La Chapelle, the second part of the exhibition, is imagined as an acoustic room. A wide selection of Hi-NRG records, with their homoerotic double-hearing covers, will be on display for listening and dancing. While the lyrics of Hi-NRG's camp and political hits - such as Divine's “Shoot Your Shot”, Miquel Brown's “So Many Men, So Little Time” or Man II Man's “Male Stripper” - embellish the printed pillows where you can recover from your intense dance-routine. On the wall, pyrographed portraits of Divine, Patrick Cowley, Sylvester or Ian Levine, all whose hits have gone from sweaty discotheques to street protests, form a new trinity of Hi-NRG saints before whom one must bow.

Bande Organisée, the final part of the exhibition, adapted from an installation at the Nouveau Printemps in Toulouse last year, retraces Tony's journey of initiation through the Italian discotheques of the 1970’s golden age, most of which are now abandoned and in ruins. Seized in their whimsical architecture and transformed into pyrogravures, homage to these retro-futuristic temples is carried by tuned and gleaming motorcycles brightening up the compositions with their headlights. A way for the public, seated on the saddle, to dive into these Saturday night fevers, while letting themselves be carried away by stories freely imagined by young radical queer artists such as Camille Desombre, Naëlle Dariya, Gorge Bataille and Aurélie Faure.

By transmuting the title of his exhibition from HI-NRG to HIGH ENERGIES, by desacralizing the figure of the all-powerful artist in inviting other artists or collectives, and by transforming the public into actors, Tony Regazzoni raises the burning questions of queer memory and heritage, fluids physical and corporeal, as activism and politics, transmuted into that famous electric discharge for which Hi-NRG was named. What is left of this synthetic, robotic disco's community energy, which was once the soundtrack of collective emancipation and resilience in the face of AIDS? Of celebration and death? How did this musical genre stigmatized as the music of fags, crazies and thundering divas, designed for drugs and sex, and far more political than it seems, find its way into battle? By refusing to lock himself away, or even take refuge in the past, Tony Regazzoni connects past and present, colliding them to unleash the sparks of activism. And all the while, he delivers his most militant and queer exhibition to date.

A way of extending the question that runs through his work: why does dancing, this mix of collective jubilation and expression of individuality, affect bodies and politics, as Act Up Paris proclaimed “Sida is disco”?



Patrick Thévenin
Jan. 2025